mercredi 23 décembre 2009

ENTRETIEN/ Hegoa ARAKAMA / Fille de prisonnier basque

article du JOURNAL DU PAYS BASQUE DU SAMEDI 19-12-2009

Sujet à la une

"Malgré ces mesures, ils ne briseront pas l'amour qu'on a pour eux"

Elle voit son père une fois par mois quand ce n'est pas un autre membre de la famille qui assure la visite. Mère de deux petites filles, Hegoa Arakama a parcouru les prisons espagnoles ces dernières années ; Iñaki Arakama y a passé douze ans de sa vie en raison de ses activités au sein de l'organisation ETA. Aujourd'hui, il se trouve à la prison de Séville (Andalousie), à 988 km de Saint-Michel, où elle habite.

19/12/2009

ENTRETIEN/ Hegoa ARAKAMA / Fille de prisonnier basque

Quelle est la situation actuelle de votre père ?

Suite à l'échec des négociations d'Alger [entre l'Etat espagnol et ETA], en 1989, mon père avait été déporté en République Dominicaine avec d'autres de ses compagnons. En 1997, il avait été expulsé vers Madrid, puis incarcéré. Cela fait douze ans. Il a passé un peu moins que cinq ans à la prison de Soto del Real [Madrid], cinq autres années à Puerto de Santa Maria [Andalousie], puis à Zuera en Saragosse et Logroño [Rioja]. Depuis quinze jours, il est à Séville.

Vous avez donc passé la plus grande partie de votre enfance sans votre père.

Je n'ai pas de souvenir de mon père chez moi. Cependant, même si la déportation est une situation très difficile, je passais tout de même deux mois par an en République Dominicaine. Et ces périodes nous ont beaucoup rapprochés l'un de l'autre... c'est très différent d'un vis-à-vis [mode de visite en prison réservé aux familles] qui ne dure que deux heures. Lorsque nous nous retrouvions, à l'époque, nous avions, du moins, une relation parent-enfant : nous mangions ensemble, il s'occupait de moi...

De nombreux enfants vivent ce genre de situation au Pays Basque, cette situation a t'elle des conséquences sur l'éducation ou la construction de l'enfant ?

Ces situations engendrent forcément des conséquences ; depuis mon plus jeune âge il m'a manqué un parent à la maison. Mais je n'ai pas l'impression que cela m'ait empêché de me construire de façon équilibrée, car, par ailleurs, ma mère et ma famille ont été très présentes. Et mon père a toujours été présent par d'autres voies, par courrier, par téléphone, ce qui fait qu'il a été très loin et près à la fois. Et puis il y a des situations différentes d'enfants qui ont vécu avec leur père ou leur mère avant qu'il n'aille en prison.

Comment vous êtes-vous organisée pour rendre régulièrement visite à votre père pendant ces douze ans de prison ?

A partir du moment où il a été incarcéré, beaucoup d'amis de Gasteiz [ville natale] lui ont rendu visite, alors que cela faisait 20 ans qu'il n'avait plus de relations avec eux. La solidarité s'est organisée autour de lui. Et dans notre famille, nous nous sommes toujours relayés pour le voir une fois par mois.

Cependant, il a 58 ans maintenant et ses amis sont de la même génération et l'âge se fait sentir : les voyages sont pesants, ils sont loin et nous le ressentons au niveau des visites.

Est-ce que vos filles voient leur aitatxi régulièrement ?

L'aînée qui a trois ans et demi est souvent venu à Puerto de Santa Maria avec moi, mais nous n'avons pas pris le bus des familles, car je veux que cette visite reste un plaisir. Heureusement que ce bus existe, je l'ai souvent pris, mais avec ma fille, j'ai préféré prendre l'avion, malgré le coût.

Vous n'avez pas encore vécu cela, mais le Gouvernement espagnol a ordonné des fouilles au corps des personnes qui rendent visite aux prisonniers basques. Comment avez-vous réagi ?

Je le vis comme une contrainte de plus, une entrave supplémentaire, en plus de la longueur du voyage et du coût. Il est clair que l'objectif est de faire mal aux preso, et comment ? En s'en prenant aux familles. Pour l'instant je ne l'ai pas vécu, mais je me pose beaucoup de questions... et je ne sais pas comment je réagirais. Je crois qu'on ne peut pas savoir comment on va réagir, jusqu'au moment où on se trouve devant la porte de la prison. Je pense aussi que nous allons nous concerter avec la famille du second prisonnier basque qui se trouve dans cette même prison, et nous allons agir ensemble. Ceci dit, je n'arrive pas à imaginer que je puisse faire un tel voyage en vain.

Certains le font...

Certains le font, mais j'imagine que c'est un pas très difficile à franchir. C'est difficile d'y aller et de revenir en laissant le preso avec ce souci, ce poids qu'est de voir ses proches souffrir. Il a besoin de nous, mais nous aussi nous avons besoin de lui. Dans cette situation le mal est double.

Un des objectifs du Gouvernement espagnol, par ailleurs, est de diviser les familles. Les preso sont très solidaires les uns avec les autres grâce au collectif duquel ils font partie, et les familles le sont aussi. Toutefois, chaque famille réagit comme elle le sent, comme elle le peut. Je comprends que certains refusent ce genre de fouille et d'autres l'acceptent. Toutes les mesures qu'ils prennent ont pour objectif de faire du mal et ils y arrivent, à travers l'éloignement, l'isolement. En ce moment, mon père est seul, en isolation, et cela nous fait mal, à lui comme à nous. Malgré toutes ces mesures, ils ne briseront pas l'amour qu'on a pour eux.

Le gouvernement a pris d'autres mesures qui accordent un traitement différencié à certains prisonniers par rapport au reste du collectif, en les rapprochant de leur famille. Votre père a vécu cela, comment le ressentez-vous ?

C'était une autre mesure pour essayer de briser le collectif des prisonniers et diviser les familles. Le gouvernement a voulu distinguer les prisons des gentils au nord de l'Espagne, puis les prisons des méchants. C'est très dur à vivre pour ceux qui restent au sud de l'Espagne et leurs familles ; je peux témoigner que c'est aussi dur pour ceux qui sont dans le cas inverse. Lorsque mon père a été transféré à la prison de Fuera, c'était loin d'être une victoire.

Il est en train d'accomplir une longue peine ; comment est-il ?

Il sait qu'il a trente ans de prison à accomplir du fait de l'application de la Doctrine Parot qui annule toutes remises de peine. Sa date de libération est fixée à août 2027. Ceci dit, nous ne parlons pas beaucoup de ce sujet ; son esprit est en prison. ça fait tellement de temps qu'il est parti ; quand il était à Saint-Domingue aussi, c'était une forme de prison. Je me souviens que quand j'étais adolescente et que je lui demandais quand est-ce qu'il reviendrait, il me répondait : «Hegoa, ça ne peut pas durer trente ans, cette histoire va se résoudre avant».

Il va passer noël en isolement, vous, vous allez être en famille, mais d'ici à là, un concert est organisé à Espelette en faveur des prisonniers, ce soir. Que représente-t-il pour vous?

C'est un moment très fort. Voir tous ces gens venus pour exprimer leur soutien aux preso ou venus écouter la musique... Et voir tous ces bénévoles qui n'ont pas forcément de lien direct avec les preso... Cette solidarité... Quand on ressort de là on a les piles rechargées. ça donne de l'espoir.

Aucun commentaire: