jeudi 21 mars 2013

article du 20 mars

Sujet à la une( source le journal du pays basque )

Une journée cruciale pour le Pays Basque

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20/03/2013

Giuliano CAVATERRA
Le 10 juillet 2012, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) donnait raison à Inés de Río, militante basque maintenue en prison dans l’État espagnol grâce à la doctrine 197/2 006. La CEDH ordonnait sa mise en liberté immédiate et condamnait l’État espagnol à lui verser 30 000 euros de dommages. Madrid, refusant d’appliquer le jugement, a formé un recours. C’est celui-ci qui est examiné aujourd’hui.
Dans le contexte actuel au Pays Basque, la décision de la Grande Chambre de la CEDH crée de grandes expectatives. Tant du côté des mouvements indépendantistes que du gouvernement espagnol, cette journée du 20 mars aura été précédée d’une intense campagne de communication. Herrira, mouvement de soutien aux prisonniers basques, a ainsi organisé une série de rencontres à Bruxelles avec des eurodéputés et des ONG. Au Pays Basque Sud, près d’une centaine de mairies ont adopté des motions demandant la dérogation de la doctrine. Le parlement de la Communauté autonome basque (CAB) a lui aussi voté une motion en ce sens la semaine dernière.
Le gouvernement de Madrid n’est pas resté non plus inactif. Le ministre de l’Intérieur, Jorge Fernández Díaz, s’est exprimé devant ses homologues européens pour expliquer que la politique pénale espagnole relevait de sa souveraineté. Il a estimé que si l’arrêt de la CEDH allait contre l’État espagnol, il menacerait tous les États européens. Selon lui, une décision contraire de Strasbourg provoquerait une “alarme sociale” et mettrait en jeu “la sécurité publique” dans l’État espagnol. Le ministre a expliqué que cela permettrait la remise en liberté “non seulement de membres d’ETA”, mais aussi d’autres groupes armés comme les Grapo et des prisonniers “les plus dangereux, des violeurs, des assassins”. Ces thèses ont été relayées par une intense campagne de presse dans l’État espagnol.
Pour l’avocat uztariztar Didier Rouget, “l’alarme sociale, c’est le seul argument de l’État espagnol”. Olatz Talavera, autre avocate basque, affirme, elle, que “nous avons des arguments juridiques solides”. Mais est-ce que seuls les arguments juridiques seront pris en compte ou est-ce que les pressions diplomatiques joueront un rôle dans la décision finale ? C’est la question que se posent les soutiens des prisonniers basques. D’autant que les recours devant la Grande Chambre de la CEDH ne sont acceptés qu’en de très rare cas. Or, selon les connaisseurs des arcanes de la justice européenne, le recours d’aujourd’hui a été accepté “parce qu’il s’agit d’un État”. Ils notent aussi que la CEDH est de plus en plus critiquée par les États qui voient d’un mauvais œil les ingérences de la Cour européenne dans leurs affaires intérieures.
Plusieurs mois d’attente
En tout état de cause, il faudra attendre avant de connaître la décision de la CEDH. “Cela peut prendre plusieurs mois voire un an”, indique D. Rouget. “Mais comme la justice européenne est critiquée pour sa lenteur, elle essaie de resserrer les délais.”
“Si l’arrêt de la Grande Chambre est contraire à celui de juillet dernier, alors la voie juridique sera bouchée pour les autres prisonniers à qui l’on a appliqué cette doctrine”, estime O. Talavera. D. Rouget ajoute : “Comme il s’agit d’un cas particulier, il y aura toujours possibilité de présenter d’autres recours, mais la Cour risque de les rejeter car s’étant déjà prononcée sur le fond.” Selon ces avocats, la bataille devra alors continuer sur d’autres champs que le terrain juridique.
Quelque 71 prisonniers concernés
Si au contraire la Cour valide le premier arrêt rendu, la doctrine 197/2 006 devrait sérieusement être mise à mal. D’autant qu’en première instance, l’arrêt allait bien plus loin que le seul cas d’Inés del Río et donnait des arguments aux partisans de la dérogation. L’État espagnol a d’ores et déjà annoncé qu’il respecterait la décision. “Mais rien ne dit qu’il libérera tous les prisonniers à qui l’on a appliqué la jurisprudence. Il peut aussi le faire au cas par cas, attendant chaque décision de la justice européenne”, explique D. Rouget, qui indique qu’une vingtaine de recours sont en attente à Strasbourg. En tout, ce sont 71 prisonniers basques incarcérés dans l’État espagnol qui sont concernés par ce jugement.
Au-delà du cadre juridique, Herrira et les formations abertzale insistent sur le contexte particulier que vit le Pays Basque. Avec l’arrêt de la lutte armée d’ETA et les efforts pour arriver à la normalisation politique, ils espèrent que la justice européenne tiendra compte de la nécessité de conforter “le processus de paix” (voir ci-contre).
Qu’est ce que la doctrine 197/2 006 ?
Il s’agit d’une jurisprudence du Tribunal suprême (TS) espagnol permettant de maintenir des prisonniers incarcérés plus longtemps que prévu au départ.
Sous l’ancien Code pénal espagnol, la peine maximale de prison effective était de 30 ans, de laquelle on décomptait les remises de peine. En 2006, le TS a fait une nouvelle interprétation du décompte de ces remises.
Pour lui, ces dernières doivent être décomptées sur chaque peine infligée et non sur le maximum effectif de 30 ans. Par exemple, pour un prisonnier condamné à plusieurs centaines d’années de prison, le calcul se fait sur la condamnation globale – et non comme dans le passé sur la durée maximum d’incarcération de 30 ans.
Ce qui est entre autres contesté par les avocats des prisonniers basques est le caractère rétroactif de jurisprudence. Dans les faits, des prisonniers qui pensaient sortir à une date X apprennent quelques semaines avant leur libération qu’ils devront rester plusieurs années de plus, souvent dix ans, en prison. C’est ce qui est arrivé à Inés del Río qui apprit en mai 2008 que sa libération prévue en juillet de la même année était repoussée à 2 017.
Doctrine “Parot” ou 197/2 006 ?
Il s’agit de la même chose. Le prisonnier bayonnais Unai Parot, condamné à près de 5 000 ans de prison dans l’État espagnol, devait sortir en 2 011. L’Audience nationale (AN) a décidé de s’y opposer et, en 2005, a tenté une pirouette juridique. Estimant qu’il y avait un “trou” de deux ans dans les activités au sein d’ETA que le tribunal lui impute, elle a voulu lui faire accomplir deux peines maximales de 30 ans. Le prisonnier a présenté un recours devant le Tribunal suprême qui a rejeté les arguments de l’AN. Mais le même tribunal a décidé de changer l’interprétation du Code pénal. C’est la décision 197/2 006. Adoptée à la suite du recours d’Unai Parot et dans le but de maintenir celui-ci et d’autres prisonniers basques en prison, elle a été médiatisée sous le nom de doctrine “Parot”, bien malgré lui.
“Je souhaite une décision de justice véritable, pas de justice politique”
“Je souhaite une décision de justice véritable, pas une décision de justice politique, à mon sens, de guerre.” Ainsi s’exprimait récemment la Bayonnaise Urtsoa Parot, sœur d’Unai Parot, qui attend avec angoisse la décision de la CEDH. “Je rappelle que l’ensemble du collectif des prisonniers a pris position pour la paix”, dit-elle. Pour elle, la majorité des prisonniers basques incarcérés dans l’État espagnol ont été “torturés. Et juridiquement, déjà, leurs procès sont entachés de nullité. Ils devraient donc être libérés”. “Mon frère a été torturé pendant cinq jours et cinq nuits lors de son arrestation. Après, il a subi la ‘torture blanche’. On l’a mis à l’isolement total pendant des mois. Il a subi des tabassages, des tentatives d’assassinat. Ne pas avoir de date de sortie va dans la même logique. Il s’agit de vengeance, pas de justice”, affirme la sœur du prisonnier. Un autre de ses frères, Ion Kepa, est incarcéré dans l’État français. Libérable, sa quatrième demande de libération conditionnelle sera examinée vendredi 22 mars.
Les partis abertzale veulent mobiliser la société
Les partis Abertzaleen Batasuna, Alternatiba, Aralar, Eusko Elkartasuna et Sortu, ont affirmé hier qu’“avec la décision que prendra le tribunal européen, c’est la stratégie de punition qu’applique l’État espagnol aux prisonniers politiques qui est en jeu”. Pour eux, il n’y a pas de “raisons juridiques” pour que la CEDH revienne sur la décision de juillet dernier. Ils ont appelé la société à se mobiliser contre la doctrine 197/2 006. Herrira organise d’ailleurs aujourd’hui des rassemblements dans tout le Pays Basque, dont deux à Bayonne (à 12 h 30 devant le consulat d’Espagne et à 18 h 30 devant la mairie), mais aussi à 19h au rond-point de Béhobie et devant la mairie de Saint-Jean-Pied-de-Port.
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