Ekaitza n°1247 du 09/06/2011
Par Muriel Lucantis
Le Mandat d'Arrêt (MAE) émis contre la jeune militante de Batasuna Aurore Martin par l'Audiencia Nacional de Madrid a soulevé une forte émotion, bien au-delà de la gauche abertzale et bien au-delà d'Euskal Herria. Arrêtée en juin 2010 dans le cadre d'un refus de prélèvement ADN, elle se voit notifier lors de sa garde-à-vue à Pau un premier MAE.
Après examen de la demande par le tribunal de Pau, celui-ci la rejette pour manque de précision des faits reprochés à Aurore. Elle est arrêtée à nouveau en novembre 2010, et un nouveau MAE lui est notifié. Celui-ci détaille, cette fois, les " délits " qu'elle aurait commis : articles d'opinion, conférences de presse, déclarations publiques... le quotidien de tout militant politique, syndicaliste ou associatif. Aurore est incarcérée, puis libérée sous un contrôle judiciaire extrêmement strict. On se souvient de la suite : le tribunal de Pau accepte ce mandat (après en avoir écarté les parties « non-recevables », soit les déclarations faites sur le territoire de l'État français, pour ne garder que celles " commises " sur le territoire espagnol où Batasuna est illégal) puis en décembre, la Cour de cassation, dernier recours juridique possible, rejette le pourvoi d'Aurore, obligeant celle-ci à faire un choix cruel : la prison ou la clandestinité.
En 2004, la " justice " espagnole avait déjà tenté de se faire remettre des militants de nationalité française, alors membres de Segi. Un Collectif d'acteurs politiques et sociaux s'était monté et fortement mobilisé, bien conscient que cette grave violation des libertés démocratiques n'était qu'un premier pas, qui, s'il était franchi, ouvrirait la porte d'une violente répression contre toute opposition politique ou syndicale. Les quelques autres tentatives qui avaient suivi s'étaient toujours soldées par des échecs pour les juges espagnols, les tribunaux français ayant rejeté toutes les demandes. Détail important cependant : ces MAE n'avaient pas été refusés parce que les personnes visées étaient de nationalité française, encore moins pour des motifs de persécution politique ou d'utilisation de la torture en Espagne... Reculant devant l'ampleur de la mobilisation, les juges avaient fait marche arrière en prenant la perche juridique que leur tendait la procédure : ces mandats ont été rejetés au motif qu'une partie des faits reprochés avaient été commis sur le territoire français.
En 2010, conséquence d'une nouvelle époque et d'une volonté politique assumée de combattre les militants basques, les juges se sont contentés, comme nous le disions au début, " d'écarter " les faits " commis " par Aurore sur le territoire français, et le MAE rédigé contre elle a permis aux autorités françaises de franchir le pas qu'elles espéraient. La possibilité d'envoyer des militants d'Ipar Euskal Herria (Pays Basque Nord, sous administration française) se faire juger et lourdement condamner à Madrid pour leur militance politique publique est une véritable aubaine pour le gouvernement Sarkozy. Il peut ainsi appliquer de fait les illégalisations de mouvements politiques et sociaux en vigueur en Espagne sans en assumer directement la responsabilité, se débarrassant ainsi discrètement d'une opposition fort gênante.
En février 2011, le Collectif franchit une nouvelle étape dans la dynamique contre le MAE. Huit jeunes du mouvement politique Segi, qui avaient réussi à échapper aux rafles, tortures et incarcérations subies par des dizaines et des dizaines de leurs camarades au sud du Pays Basque et qui vivaient cachés depuis quatre mois, apparaissent à Ispoure. Sous la protection des membres du Collectif, de nombreux élus et de nombreux militants, ils annoncent leur refus de la persécution et leur intention de vivre et de militer publiquement en Ipar Euskal Herria. Ils invitent tout le monde, citoyens, élus, partis, syndicats, associations, à venir les rencontrer lors de la semaine qu'ils passeront à Ispoure. Après ces six jours chargés d'émotion, malgré le soutien qui ne fait que s'étendre, malgré l'annonce publique d'élus locaux de leur décision d'accueillir ces jeunes chez eux, la réponse de l'État français est celle de toujours : le mépris, les arrestations violentes, les incarcérations. Les MAE émis contre eux ayant été rapidement acceptés, ces huit jeunes sont aujourd'hui derrière des barreaux espagnols.
Cette étape n'a pourtant pas été considérée comme un échec, ni par les jeunes eux-mêmes, ni par les membres du Collectif. Au contraire, elle a permis de mettre en lumière une répression cruelle qui s'abattait jusqu'alors dans une indifférence quasi-générale. Car avant Aitziber, Endika, Jazint, Xalba, Irati, Aiala, Bergoi et Beñat, ce sont des centaines de militants basques qui ont ainsi été remis par les autorités françaises aux juges spéciaux espagnols sans aucun moyen de se défendre et dans une indifférence quasi-générale. Car il est apparu que l'injustice, dans le cas d'Aurore, ne repose pas sur sa " nationalité française " mais sur le harcèlement qu'elle subit parce qu'elle est militante politique basque. Car l'utilisation de la torture et son acceptation pleine et entière par l'État français a été mise en lumière, les mandats de ces huit jeunes reposant entièrement sur les déclarations ainsi arrachées à leurs ami(e)s dans les casernes espagnoles. Car de plus en plus de gens prennent conscience de ce qui se joue réellement derrière ces MAE : le conflit basque et l'absence totale de volonté des deux États, espagnol et français, de saisir l'opportunité qui s'offre à eux de s'engager dans un processus de résolution démocratique, malgré les pas extrêmement importants réalisés ces derniers mois par la gauche abertzale et notamment par l'organisation ETA.
Cette campagne a pu sembler quelque peu endormie depuis mais il n'en est rien, et un gros travail d'information et de discussion a été mené ces derniers mois en Euskal Herria et à Paris. En conséquence, le Collectif contre le MAE et de nombreux acteurs politiques et sociaux, parmi lesquels la Ligue des droits de l'homme, ont décidé d'organiser la journée du 18 juin à Biarritz dont ils espèrent beaucoup. Non comme un coup médiatique ponctuel mais comme le premier pas d'une très large dynamique, seul moyen de stopper véritablement la machine répressive et la triste société à pensée unique que sont en train de nous construire les gouvernements en place ; seul moyen également d'empêcher les États, qui multiplient les provocations pour réactiver le conflit armé auquel ils trouvent plus d'intérêt politique immédiat qu'à une véritable paix, de parvenir à leurs fins. Rappelons pour finir que toutes les déclarations reprochées à Aurore allaient dans le sens d'un processus démocratique de sortie du conflit basque. Participer à cette mobilisation est indispensable, non pour obliger les gens à partager les idées de cette jeune femme et de tous les militants qui travaillent dans le même sens, mais pour garantir que personne ne risquera la persécution et la prison pour les avoir exprimées. Pour garantir, enfin, le respect des droits de tous les citoyens, quels qu'ils soient,
Tous à Biarritz le 18 juin !
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